Helen von Mott (2003)
Traduit de l’anglais par Raoul Fulgurex (2011)
Je pouvais sentir sa sueur tandis qu’il poussait son corps puissant contre le mien, pressant mon visage dans le tapis par
la pression de son épaule. Je me sentais sans défense, faible, un papillon battant des ailes contre les barreaux d’une cage d’acier. En contrepoint à la force de son corps, sa voix était douce,
attentionnée même. « Abandonne pas comme ça, » - son fort accent de la côte Est sonnait sincère bien que je fusse incapable de voir son visage - « faut que tu continues à te
battre. » Ses mots remuèrent quelque chose en moi. Je ne voulais pas le décevoir ; je ne voulais pas qu’il pense que j’étais faible. Je continuai à me battre.
Ma vie durant, les hommes ont été rebutés par ma force, ma confiance, et en conséquence je me suis efforcée de me faire
plus petite, plus... féminine. « Intimidante » était un qualificatif que j’étais venue à maudire, car mes prétendants ne manquaient pas de l’utiliser à mon encontre lorsqu’ils me
repoussaient. Certaines nuits je restais éveillée au lit, avec le fantasme de me faire prendre, ravir, consommer. Je voulais qu’un homme me désire tant que je pourrais lutter contre lui, me
battre de toutes mes forces, et rester pourtant incapable de le repousser. Je voulais d’un homme qui ne craigne pas ma force, mais l’apprécie, l’égale, et oui, traitez-moi de sexiste, la
surpasse.
La première fois que j’ai été sexuellement allumée au cours d’un combat de lutte, c’est arrivé comme une révélation pour moi.
La lutte était quelque chose que je faisais pour m’amuser, et occasionnellement pour l’argent. Régulièrement, j’enfilais un bikini pour lutter avec une autre femme pour le compte d’une compagnie
de production vidéo, qui vendait des vidéocassettes du match par Internet. Si un type voulait payer pour le privilège de me voir passer un bon moment, je ne pouvais rien y voir de mal. Au cours
des années, j’ai enduré des critiques acerbes de la part des milieux de la lutte, des arts martiaux, et du féminisme pour ma « prostitution du sport ». Les gens pensent que si la lutte
est associée à la sexualité elle s’en trouve dégradée d’une manière ou d’une autre. Personnellement je trouve cette attitude infantile. C’est comme mettre les mains sur les yeux et répéter
« Je ne regarde pas ça ! Je ne regarde pas ça ! ». Car le fait est que la lutte est sexy. La plus vertueuse des indignations n’y changera rien, donc
pourquoi ne pas l’accepter, bon dieu, et y prendre plaisir ? Le vrai problème, c’est l’idée puritaine qu’une femme sexy est mauvaise, facile et faible. Quand je lutte je me sens plus forte, plus
saine, plus heureuse et plus dans le moment présent qu’à aucun autre instant de ma vie. Comment quiconque pourrait-il s’imaginer qu’il y a quelque chose de mal à être considérée comme sexy ?
Pour ce qui me concerne, un homme (ou une femme) qui s’excite en voyant une femme à son meilleur niveau athlétique est le produit fini de la révolution féministe. « Power
brother ».
Je luttais toujours et encore devant la caméra, et pourtant le frisson érotique que les fans ressentaient à me voir restait une sorte de
mystère pour moi. J’aimais que mon corps fort et musclé, la source de tant de honte et d’embarras d’adolescente, soit finalement admiré, voire vénéré, mais j’avais du mal à comprendre ce qu’il y
avait de si diablement sexy dans la lutte. Je veux dire, à part les évidentes connotations lesbiennes implicites, mais cela m’avait l’air un peu court. S’ils voulaient juste voire deux pépées
s’envoyer en l’air, les vidéos pornos se vendaient dix à la douzaine. Et nous ne montrions même pas tant de chair à l’époque ! Quelle était l’étincelle ?
Couchée sur le sol de cette académie d’arts martiaux, l’instructeur blond et musclé se pressant contre moi, me disant de
me battre contre lui, m’ordonnant de ne pas abandonner, me laissant m’échapper de ses prises à rompre les os avant de me capturer à nouveau, j’ai compris. Je me suis sentie submergée d’un désir
primal que je pouvais à peine contrôler. Ma respiration était courte et erratique, et je tremblais de passion, essayant désespérément de me retenir de lécher la sueur qui perlait de ses épaules
massives. Passant derrière moi et me clouant les bras derrière le dos, il chuchota à mon oreille « Tu sens trop bon pour que je te fasse ça». Si je n’avais pas été à la fois immobilisée et
hors d’haleine, je pense que j’aurais perdu tout self-contrôle et l’aurais supplié de me prendre là, tout de suite.
Moult dérouillées subies de la part d’autres femmes dans le circuit des vidéos de lutte, voilà quelles étaient mes
motivations premières pour suivre cette formation de lutte. Bien qu’il ne me semble pas me rappeler de la moindre prise qui nous a été enseignée ce week-end j’ai appris la leçon la plus
importante de ma carrière de lutteuse. La lutte n’est pas affaire de prises, ou de clés, ou de vitesse ou de puissance… elle est affaire de domination et de contrôle. C’est ce qui rend la chose
excitante. Dans un combat de lutte la domination est authentique, d’une authenticité à laquelle les autres formes de domination ne peuvent pas prétendre. Dans la plupart des scènes sado-maso, le
soumis renonce à son autorité en acceptant d’être attaché, menotté, mis en cage ou autres joyeusetés. Les accessoires et l’accoutrement sont essentiels pour que la domination puisse prendre
place. En lutte, le consensus se limite au moment où le combat est accepté et où les règles sont énoncées. Le « dominant » gagne son statut en vertu de sa supériorité physique, ce n’est
pas un rôle convenu d’avance. Dans un véritable combat compétitif, le vainqueur permet à son adversaire de se battre, et prend le contrôle de son adversaire contre sa volonté. Et pourtant, aucune
ligne rouge n’est jamais franchie.
Sans surprise, après cela j’ai passé mon entraînement à la vitesse supérieure. L’adrénaline qui m’inondait alors que je m’efforçais
d’assurer une prise, la fièvre de la victoire, l’humiliation de la défaite ; tout ceci s’entremêlait et commençait lentement mais sûrement à teinter chaque aspect de ma présence dans ce
monde. Enfant on m’avait toujours dit « Dans un vrai combat avec un homme il n’y a tout simplement aucun moyen pour une femme de gagner. Fais avec. Ce n’est que de la
génétique. Désolé petite fille. Si jamais tu as des problèmes avec un homme, fais juste ce qu’il te dit et tu survivras probablement. » Réaliser l’inanité confondante de ces croyances
a changé ma vie. Avec chaque soumission arrachée à un adversaire masculin je devenais plus confiante, et je m’épanouissais dans ma nouvelle aptitude. Etre forcée de me soumettre à un Adonis blond
était bon… le mettre au sol et le soumettre était encore meilleur.
En 1998 j’ai fondé « Virago Wrestling ». Le but original que je donnais à ma compagnie était la production et
la distribution de vidéos de lutte féminine. Ma compagnie se démarquerait des centaines d’autres, me disais-je, par la compétence de ses lutteuses et l’authenticité des matches. Mais je ne suis
pas une productrice vidéo ; je suis une lutteuse. Je me fiche pas mal de la lumière, de l’emballage, de l’édition, ou de n’importe quel autre de la centaine de détails inhérents à la
réalisation d’une vidéocassette réussie…je voulais juste flanquer des raclées. A ma surprise et mon ravissement j’ai découvert une chose merveilleuse…il y a des types qui font la queue là-dehors
et qui ne demandent qu’à se faire flanquer la raclée ! (NdT : et à payer cher pour cela !)
En lutte la technique est si importante qu’une lutteuse bien plus petite, mais compétente, peut dominer facilement un
adversaire plus imposant. Avec une connaissance solide de quelques prises de base, une femme peut massacrer un homme qui pèse 25 kilos de plus, domptant sa force par effet de levier, vitesse et
technique. Quand un puissant corps de femme est ajouté à l’équation, l’effet est dévastateur. Un combat peut même être rendu plus excitant en y incorporant les scénarios et accessoires des scènes
sado-maso traditionnelles. Au cours de ma carrière j’ai soumis des gars habillée en espionne russe, en super-héroïne, en cheerleader, en prof de gym, en détrousseuse, et bien sûr, en
dominatrice.
Partager ma passion de la
lutte, et apprendre aux hommes, aux femmes et aux couples comment y jouer est devenu un projet de vie pour moi. « Virago Wrestling » est maintenant une agence, mes lutteuses, mes
lutteurs et moi distribuons des raclées sur la planète entière, avec des tournées aussi lointaines que la Nouvelle Zélande et le Japon. A la place de vidéos, nous nous spécialisons maintenant
dans des combats de lutte privés, face à face, bien que nous ayons parfois des demandes pour des spectacles publics. Et l’excitation ne me quitte jamais.
Raoul Fulgurex
pour la traduction française
Note d'Aristote : Raoul Fulgurex est un nouveau correspondant, ceci est sa première contribution au blog en tant
qu'article (en se reportant à la rubrique "commentaires" on peut lire ses remarques très pertinentes sur d'autres articles parus). Bienvenue à toi, Raoul Fulgurex !
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