Vaincu par Elle


Dans cet article, j'espère qu'on me pardonnera d'écrire "nous" pour désigner celles et ceux qui aiment pratiquer la lutte mixte. Je ne ferai bien sûr qu'exprimer un point de vue personnel, à vous de m'approuver ou de me contredire. Je voudrais aborder ici la question de nos rapports avec le monde du BDSM.
J'entends déjà beaucoup de  lecteurs se récrier : mais ça n'a rien à voir ! nos pratiques de "combats mixtes sensuels" n'ont absolument rien à voir avec celles du milieu sadomasochiste. Nous n'allons jamais dans des soirées SM, ni sur des sites Web SM, et eux nous ignorent aussi, car ce milieu SM, si bizarre dans ses pratiques étranges, si multiforme - et qui d'ailleurs compte beaucoup plus d'adeptes que nous - se désintéresse totalement du sport en général et de la lutte mixte en particulier.
Bien sûr bien sûr... mais il n'empêche que des points de contact existent. Par exemple mes articles sur le dressage d'Aristote, ou mon utilisation fréquente de dessins du célèbre Eric Stanton, dont les deux mondes, celui du BDSM et le nôtre, se réclament, ou encore le fait avéré que parmi les lutteuses qui font des sessions, on en trouve un certain nombre qui sont également des "dominas", en ce sens que certains clients leur demandent aussi bien de la lutte que des pratiques SM.
Je voudrais m'interroger sur ce qui rapproche les deux milieux et aussi sur ce qui les distingue, tant au niveau du vocabulaire plus ou moins codé que des pratiques en cours, des règles d'éthique et de toutes questions qu'on peut être amené à se poser, et il n'en manque pas...

Commençons par le vocabulaire.
Dans BDSM il n'y a pas quatre mots, mais six mots :
BD = Bondage et Discipline
DS = Domination et Soumission
SM = Sadisme et Masochisme.

Parmi ces six mots, au moins trois sont également en usage chez nous : Domination, Soumission, Masochisme. Mais avec des sens assez différents du SM, car nous sommes influencés par le fait que nos pratiques sont "sportives" :
- la "domination" existe dans le vocabulaire de tous les sports de combat, quand l'un(e) des deux combattant(e)s domine manifestement l'autre.
- la "lutte soumission" désigne un style de lutte underground dans lequel on fait durer le combat (et le plaisir des spectateurs) jusqu'à ce que celui ou celle qui est dominé(e) abandonne et reconnaisse ainsi sa défaite. Deux avantages : cette défaite est incontestable, alors que dans les règles officielles, beaucoup de décisions prises par les juges et arbitres sont contestées. Mais surtout, être obligé(e) de se rendre est une humiliation bien pire qu'une décision d'arbitres, et à travers ce rituel d'humiliation on rejoint le SM...

- le "masochisme" est présent à divers titres dans les sports de combats. Dans son acception la plus courante, il renvoie aux entraînements de galériens que s'infligent les compétiteurs et compétitrices en préparation de combats. On voit parfois aussi des sportifs s'entraîner très dur hors contexte de compétition pour vivre l'expérience de se dépasser, pour reculer les limites de ce que leur organisme peut endurer, pour trouver une forme de bonheur dans la souffrance. A nouveau, un parallèle peut être tracé avec les masos du SM dans leur quête de l'extrême.

Pourtant les différences entre les deux mondes sont très importantes. Chez nous la domination est essentiellement physique, elle n'est pas mentale, psychologique. Il n'existe pas vraiment de "soumis", encore moins "d'esclaves". Il n'y a pas, comme en BDSM, de "pacte" entre dominant(e) et soumis(e). Dans le BDSM toutes les femmes ou presque sont des "soumises". En lutte mixte les soumises n'existent pas, ou alors elles ne présentent aucun intérêt, de même que les mâles dominants. A mon humble avis la lutte mixte ne présente d'intérêt que si la femme peut vaincre l'homme (je ne dis pas "doit") et remettre ainsi en cause la relation traditionnelle de domination physique de l'homme sur la femme.

En quel sens peut-on parler de "domination" en lutte mixte ?  d'abord il ne s'agit pas d'un statut défini au départ de la relation, je ne dirais jamais de ma compagne qu'elle est ma "domina" et que je suis son "soumis". La domination est un résultat, non une donnée de départ. Chaque fois que nous luttons nous "reprenons acte" de sa domination sur moi : elle obtient une victoire par soumission, je me rends. En outre, en ce qui me concerne, je dois avouer que j'aime vivre cette situation, j'aime être dominé par ma femme à la lutte.
Ici apparaît un paradoxe qui mérite une analyse. Car si les lutteuses sont toutes "dominantes", en ce sens que ce sont des sportives qui luttent pour gagner et non pour perdre (d'ailleurs les combats féminins de lutte-soumission sont toujours très durs), en revanche la situation est bien plus complexe et ambiguë du côté masculin.
En gros on peut affirmer que c'est l'existence de lutteuses suffisamment fortes pour rivaliser avec des hommes, pour pouvoir les affronter avec des chances de les vaincre, c'est cette existence même qui pose problème aux hommes dans leur ensemble dans notre société.  Si les lutteuses représentent un défi pour toute la gent masculine, il existe une catégorie d'hommes que ce défi interpelle et passionne plus particulièrement, et ce sont ceux-là qui rentrent dans le monde de la lutte mixte. Ce défi, ils veulent le vivre dans leur chair en affrontant telle ou telle de ces amazones.

Je fais partie de ceux qui, par masochisme peut-être, se sont en quelque sorte "résignés à leur défaite" face à la montée de ces nouvelles amazones dans notre société. A défaut d'être des soumis, ils se proposent un peu comme leurs serviteurs et accompagnent leurs triomphes de chants de louanges.
Quand je lutte avec ma compagne, je ne lutte pas "pour perdre", ce qui serait une contradiction dans les termes, je lutte dur, je lutte vraiment, je lutte en me disant que sa victoire finale sur moi sera d'autant plus belle qu'elle aura été plus chèrement acquise, je lutte pour qu'elle ait une belle victoire, et une victoire réelle, non usurpée.

Mais tous les hommes qui font des combats mixtes n'ont pas exactement les mêmes motivations. D'autres, physiquement plus forts que moi, "jouent" sans se donner au maximum pour le plaisir de souffrir dans leur chair (beaucoup adorent se faire serrer la tête dans le ciseau de jambes de la femme). Eux aussi aiment la victoire de la femme, même si elle est alors plus ou moins factice. D'autres sont plus "dominants" ou plus ambigus dans leurs désirs. Certains sont des individus violents, mais dissimulés, pervers, parfois dangereux, dont la visée est de dominer les lutteuses, pour éventuellement leur faire mal.

Par delà nos différences, ce qui nous réunit tous, c'est que nous avons été déstabilisés psychologiquement par le phénomène "lutteuses" à un stade ou à un autre de notre évolution, mais nous avons réagi de manières variables à cette déstabilisation.

L'un des grands problèmes du petit monde de la lutte mixte, c'est la rareté des femmes athlètes, encore que beaucoup d'hommes peuvent très bien se contenter d'une femme sans qualités athlétiques particulières pour mener un "combat sensuel" et subir son ciseau de jambes ou un facesitting. Et parmi les championnes, c'est la rareté de celles qui, habitées ou non par un fantasme de "dominante", acceptent de se prêter au jeu. Le parallèle avec le milieu BDSM peut ici être fait, où un grand nombre d'hommes "soumis" potentiels vivent comme une frustration la quasi-inexistence de "maîtresses" qui voudraient bien faire d'eux des "esclaves". Chez nous comme dans le BDSM, de nombreux frustrés n'ont d'autre choix que de faire appel à des professionnelles s'ils veulent vivre leurs fantasmes si peu que ce soit.

Le handicap des "soumis" du BDSM et des amoureux transis des lutteuses, c'est peut-être d'apparaître comme des hommes faibles et immatures, tout juste bons à être corrigés comme des gamins et non dignes d'inspirer des sentiments amoureux.
Il y a aussi  le problème que posent les fameux "faux soumis", ces hommes qui prétendent dicter à leur "maîtresse" des conditions et des restrictions à sa domination. Les femmes qui, en milieu BDSM, ont le mérite d'accepter de jouer le rôle de "dominatrices", se plaignent souvent du simulacre de domination qui leur est en général proposé, voire imposé.

Je crois qu'un problème analogue existe chez nous. Je me suis souvent demandé si moi-même je n'avais pas parfois encouragé certains "comportements sadiques" chez ma compagne en cherchant à délimiter le champ de son action à telles prises de lutte ou tels types de coups que je jugeais plus souhaitables que d'autres et, ce faisant, à prétendre restreindre sa liberté. Or en tant que championne de haut niveau, elle considère que je n'ai rien à exiger, qu'elle est, bien plus que moi, compétente, donc souveraine dans tous ses actes. Dans l'exercice de son libre-arbitre, elle a tout loisir de me dominer, de me mater ou de me punir par les voies qu'elle juge opportunes, fussent-elles de mon point de vue "trop ceci" ou "trop cela", souvent "trop douloureuses" pour le douillet que je suis, ou encore "inappropriées" à la recherche de mon plaisir.

Cela dit, ma compagne n'a jamais versé dans le BDSM, si l'on veut bien considérer que les critères permettant de différencier les pratiques BDSM des nôtres sont la dissymétrie D/s et l'usage d'instruments (fouets, liens, etc.), la Maîtresse étant seule détentrice de ces instruments. Chez nous, la domination doit s'exercer - et se démontrer - dans le cadre d'un combat régulier à armes égales et à mains nues (en général, mais certains aiment aussi la boxe mixte avec des gants).

D'autre part, un débat récurrent chez nous est la question de savoir si, dans le cadre d'un combat réel, donc dur, la sensualité et des pratiques proprement sexuelles ont véritablement leur place. Contrairement au BDSM, cela ne va pas de soi.
D'une part la grande majorité des professionnelles refusent toute pratique sexuelle, et le jeu des "faux soumis" consiste alors souvent à prétendre revenir au cours de la session sur leur acceptation de principe de cette règle de "no sex".
D'autre part, les femmes non vénales qui acceptent de lutter - après une mise en confiance qui d'ailleurs ne s'obtient pas si facilement - ne consentent pas toujours à une confusion entre les deux registres : celui du sport de combat, fait de dureté, de contraintes, et celui du sexe, où la douceur et la sensualité sont de mise, du moins si - et cela va de soi pour les femmes non vénales - la règle est celle du plaisir partagé.
En revanche, beaucoup d'hommes aiment une sorte de "glissement progressif" entre sport et sexe, voire une confusion des deux registres, car pour ces hommes le plaisir devient maximal quand on ne sait pas clairement si l'on est encore en train de lutter ou déjà en train de faire l'amour.

Qu'elle soit perçue comme une variante du flirt ou comme une véritable pratique sexuelle, la lutte mixte confronte à nouveau les hommes et les femmes aux mêmes problèmes que toutes les autres pratiques sexuelles, hétérosexuelles classiques, BDSM ou autres.
Ici comme ailleurs, les femmes non vénales ne cessent de reposer la question des sentiments et de l'amour. C'est par amour, et bien sûr - mais de manière indissociable parce qu'elle est une femme - c'est aussi pour le plaisir qu'elle y prend, que ma compagne me domine régulièrement à la lutte.

La lutte mixte, comme le BDSM, a certainement sa place dans les rencontres sociales hors couple, entre inconnus, mais sous des conditions impératives, que l'on peut résumer par la devise suivante, en anglais : "safe, sane, consensual", comme on le rappelle sur le site bdsm.info. La relation engagée doit être
1) "sûre" du point de vue de la sécurité
2) "saine" du point de vue de l'état d'esprit
3) "consensuelle" du point de vue de la mise en pratique.
Ces conditions sont d'autant plus impératives que nos pratiques ne sont pas sans danger, peuvent alimenter des fantasmes violents et conduire à toutes sortes de manipulations.
Les risques de manipulation sont d'ailleurs décuplées par l'usage d'Internet. Chacun sait, mais il est bon de le répéter, que l'anonymat sur Internet est à l'origine de beaucoup de bonnes et de mauvaises choses. Parmi les excellentes choses, il y a par exemple la possibilité pour chacun de s'exprimer de manière entièrement libre en étant protégé par son anonymat, d'où par exemple la rédaction du présent blog que je n'aurais jamais entrepris si j'avais dû le faire sous mon nom réel.

L'envers de la médaille, c'est le comportement irresponsable de beaucoup de gens, ce sont toutes les tentatives de provocations et de manipulations. Pour ne citer qu'un exemple, personne n'est obligé de me croire quand je parle de mon vécu avec ma compagne, il est évidemment loisible à tout un chacun de venir dire le contraire, de prétendre que je fabule et qu'elle n'existe pas, et cela sans que je puisse démontrer que je ne mens pas puisque nous voulons rester anonymes.

En matière de dérives liées au fonctionnement d'Internet, nous sommes, nous autres adeptes de la lutte mixte, des débutants en comparaison de ce qu'ont pu vivre d'autres microsociétés, à cet égard l'exemple du BDSM est emblématique des dérives auquel conduit le Web. Cela dit, on peut gérer ces problèmes-là, et la roue tourne et les apports positifs demeurent. Dans le milieu du BDSM plusieurs blogs ont beaucoup fait pour clarifier certaines idées, lutter contre certains préjugés, créer des liens positifs entre les gens, comme par exemple celui, d'une grande richesse de textes, de poésies et d'analyses, rédigé par une femme "soumise" (en fait, pas si soumise que ça) qui signe du nom d' Aurora. Je persiste donc à penser que tant en matière d'échanges d'idées que de rencontres réelles, Internet peut vraiment apporter beaucoup.
Tout en restant anonyme, je serais éventuellement disposé à rencontrer certaines personnes qui réagissent intelligemment à mon blog, cela uniquement pour des échanges d'idées. Car si je suis très disposé à parler de tout cela avec d'autres personnes passionnées, en revanche ma femme comble tous mes désirs pour ce qui est du passage à la pratique.

Les dessins pour cet article sont de divers artistes : Bishop, Gregor, Jayem, etc.  et proviennent du site FemdomArt.ru | Femdom in drawings. Je me suis permis d'y incorporer des légendes de mon cru.


Sam 20 jan 2007 2 commentaires
Intéressante dialectique, mon cher Aristote. Ton discours a le mérite d\\\'ébranler légèrement mes conceptions quoique je demeure en désaccord avec toi sur plusieurs points.

Personellement, Je considère que la lutte est autant un jeu qu\\\'un sport qui peut s\\\'avérer être aussi compétitive que l\\\'on le désire même sensuel si l\\\'on veut. Il faut distinguer, lutte compétitive, semi compétitive, de fantasy ou même érotique. Tout sport se veut avant tout être un jeu que l\\\'on pratique par plaisir et avec passion. On y fixe des règles pour agrémenter l\\\'expérience. Penses que le plus grand évènement sportif au monde s\\\'apelle les jeux olympiques. Aussi, Il est faux de dire que la plupart des adeptes du BDSM se déintéressent complètement du sport. En fait, la plupart des dominatrices ont un intérêt naturel pour les sports de combats et la musculation. C\\\'est d\\\'ailleurs pourquoi l\\\'on trouve si souvent des dominatrices qui offrent des sessions de lutte mixte. On retrouve également communément des sportives qui s\\\'enligne vers le sadomaschisme.

D\\\'un autre point de vue, je crois devoir t\\\'éclairer sur le vaste monde du Sadomasochisme. Il y a tant de pratiques dans ce milieux que les adeptes ont à en prendre et à en laisser. C\\\'est d\\\'ailleurs la raison pour laquelle l\\\'on ne me verra jamais dans l\\\'une de ces soirée sadomaso dont tu parles *lol*. Il y a des tas de pratiques qui me dégoutent. Des choses que je tient à voir, et encore plus que je ne tient définitivement pas à voir ou à subir. Seulement une minorité des adeptes du sadomasochisme se présente dans de tels soirées. Je crois également que ta conception de faux soumis est vraiment trop large. Règle générale, dans une relation sado maso, il est des plus normal que la dominante ou le dominant fasse un pacte avec la personne soumisse. Ils établissent ensemble un code de conduite à respecter des 2 coté afin que la relation soit saine.

La relation sadomasochiste implique beaucoup de jeux de roles, souvent  des outils également, mais pas nécessairement.  Le fouet et les menottes sont évidemment quasiment emblêmatiques mais comme bien des choses, ce ne sont pas des prérequis.Je considère que la lutte doit être incluse parmis les aspects du sadomasochisme dans lesquels les nombreux adeptes ont à puisser pour avoir un relation de sadomasochisme. Bien souvent, ce sera alors davantage une lutte de fantaisie bien sur, mais à partir de là, il n\\\'est pas rare qu\\\'un aspect plus compétitif puisse surgir.

Pour en revenir à moi, et à mon couple avec Feistylilmistress, nous avons basiquement une relation de sadomasochisme, Tout deux appréciont également la coté compétitif de la lutte et elles m\\\'autorise souvent à essayer de la vaincre pour la beauté du sport.

Pour conclure, je crois que lutte, la fessé, le pénétration anale *yuck*, le fouet et bien d\\\'autres choses  se doivent d\\\'etre considéré comme étant une partie virtuelle du BDSM, Toutes ces choses ont également leur existence propre en dehors du contexte BDSM bien sur, mais ce sont toutes ces petites partit virtuelles qui sont responsable de l\\\'existance du BDSM.
Nicolas aka SmotherMe24 aka Feisty's Slave - le 03/03/2007 à 11h08

Je suis assez d'accord avec toi pour dire que quand une dominatrice est sportive elle aime dominer par la lutte, le problème est que bien souvent elles ne sont pas assez sportives et compétitives pour exercer une domination réelle par ce biais. La question de savoir s'il existe des dominatrices amateurs est également posée : à mon avis, elles n'existent qu'au sein du couple.

Comme dans le cas de ton couple, ma compagne "m'autorise à essayer de la vaincre pour la beauté du sport", cela fait même partie de notre "contrat" de base, mais elle est tellement plus forte que moi en combat que je n'ai strictement aucune chance de la vaincre. Si la lutte se durcit, ma défaite n'en sera que plus douloureuse. En ce qui me concerne, je ne souhaite pas qu'elle utilise des instruments quelconques, ses coups et ses prises à mains nues suffisent amplement à satisfaire mon masochisme. Cela dit, il est évident que d'autres couples ont d'autres pratiques, tous les désirs sont légitimes pour autant qu'ils respectent les personnes.

Aristote
merci pour ces belle images
denis07 - le 07/03/2008 à 21h56