Vaincu par Elle


Imaginons un garçon pas très sportif mais fasciné par les lutteuses et désireux de pratiquer la lutte mixte, appelons-le Tom. Le conseil qu'on est tenté de donner à Tom est de s'inscrire à un club de lutte, un vrai club de lutte où il paiera cotisation, licence, etc., et recevra en échange une formation donnée par des moniteurs compétents qui lui apprendront à lutter sans danger. Bien sûr, il s'entraînera surtout avec des garçons, mais avec un peu de chance, il y aura des filles dans ce club....
Bien vite dans le club on s'apercevra du fait que Tom n'est pas bien costaud et n'a rien d'un futur champion. Il aura droit aux propos dévalorisants de la part des gars du club, de ceux qui ont des ambitions et remportent des victoires dans les compétitions régionales.
Si Tom est américain, son entraîneur finira par lui faire comprendre que les seuls combats qu'il peut espérer remporter sont des combats mixtes, des combats avec des filles, comme on en organise là-bas. Tant mieux, pensera-t-il !

Et ce qu'il rêvait de faire, lutter avec une championne, il pourra le faire. Mais il le fera dans un contexte où, publiquement battu par la fille, il en sortira humilié, rabaissé aux yeux de ce public, qu'il le veuille ou non, qu'il s'en fiche ou non.

Il y a sans doute deux raisons pour lesquelles un peu partout à travers le monde (sauf dans quelques endroits aux USA) dans aucun des principaux sports de combat (lutte, judo, boxe etc.) on n'organise de combats mixtes en compétitions. Dans les deux cas le garçon en sort dévalorisé : s'il remporte le combat, on va dire que ce n'est pas un exploit et qu'il n'a pas lieu d'en être fier, et s'il le perd on le traitera de mauviette. Or ces sports virils sont conçus pour magnifier la masculinité, la force et la vaillance des combattants, pas pour rabaisser des hommes et remettre en cause le machisme, et c'est pourquoi il n'est pas question d'organiser des combats mixtes.
C'est sans doute la revendication féministe de non-discrimination sexiste qui est à l'origine du fait que dans certains pays avancés, tels les USA, on accepte les combats mixtes dès lors qu'ils sont équilibrés. Si la fille et son entraîneur peuvent démontrer qu'elle vaut un garçon en combat, c'est une discrimination sexiste que de lui refuser d'affronter des garçons, et ce n'est qu'une misérable défense du machisme de lui refuser qu'elle puisse le faire par le biais d'un combat public et arbitré.



En France, en Russie, dans tous les pays de mentalité archaïque et machiste, les entraînements mixtes et combats mixtes ne sont concevables qu'à l'entraînement. Grâce à youtube, quelques exemples édifiants nous sont offerts de la remise en cause de la supériorité du sexe dit "fort".


On remarquera cependant une chose : la présence de l'entraîneur de la fille, qui l'encourage, qui la "coache", et l'excitation verbale qui est souvent celle de cet entraîneur et de ses amis.
Derrière ce coaching insistant, il y a sans doute un propos implicite qui gâche le plaisir de Tom : "Si cette fille est si forte, et si elle te bat, minable, c'est parce que c'est moi qui l'ai entraînée, c'est moi qui l'ai faite, cette championne."
Au-delà des conseils techniques qu'il prodigue à la demoiselle, l'entraîneur ne signifie-t-il pas aussi au garçon, implicitement bien sûr, sans le dire : "Dis-toi bien, mauviette, que si par hasard un homme occupe une place dans le coeur de cette guerrière, ça peut être moi, mais ce n'est certainement pas toi !"
La présence de ce coach est donc parfaitement malvenue pour Tom, tout autant que celle d'un public débile qui lui crie des insultes et autres lazzis.

En réalité, ce à quoi aspire Tom, et ce dès l'origine de sa fascination qu'exercent sur lui les lutteuses et de sa folle envie de lutter avec elles, c'est à des combats privés, des combats où il est seul aux prises avec la lutteuse, avec tout au plus la présence éventuelle d'un cameraman (ou, préférablement, d'une camerawoman) qui saura se montrer aussi neutre et discret(ète) que possible. Sa défaite, il veut la savourer seul.

Ce combat-ci est en privé, il est improvisé et prend place "at home" (avec quand même les inconvénients inhérents, le manque d'espace, les meubles etc.).



Les commentaires excités sont ceux de spectateurs présents (ou peut-être rajoutés ensuite en "voix off" ?) et sont moins déplaisants que s'ils venaient d'un public en salle ou d'un coach.
D'ailleurs le commentaire ne tranche pas : "fun" ou "humiliation" ? peu importe, finalement, c'est une affaire privée, ça les regarde.

Notre excellent correspondant Amphitryon m'a signalé le combat suivant, qui me semble plein d'intérêt. D'abord il fait écho à ce qu'on peut lire dans ce type de forum sur Internet :




Il est courant que les danseuses, en dépit de physiques a priori "frêles", s'avèrent d'une force physique surprenante et parfaitement capables de lutter avec un garçon et de le dominer.
Ce film super8, remontant à 1984, présente plusieurs caractéristiques intéressantes : le combat est improvisé dans la salle de danse de la dame, lieu a priori non conçu pour cela ; ni elle ni son adversaire masculin ne montrent de qualités techniques particulières, ils ne connaissent pas tellement les prises, ont des gestes plutôt lents, improvisent plus qu'ils ne construisent. Mais c'est justement ce qui fait l'intérêt de la chose : la lutte mixte est accessible à tous, oui, et c'est ce dont ce film témoigne.





C'est un film super8 muet. C'est à la fois un avantage (pas besoin de spectateurs ni de leurs commentaires plus ou moins débiles), et un inconvénient dans la mesure où ces deux-là sont seuls et où la femme est libre d'exprimer verbalement sa domination sur l'homme, de le taquiner et de le chambrer. Car elle seule a le droit de le faire, aux yeux de Tom.

Ven 14 aoû 2009 Aucun commentaire